La mule et le puisatier

The Snack Bar 1930 by Edward Burra 1905-1976

Edward Burra

Mangeant des poivrons à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

Chantant leur complainte au bruit familier,
Passe un dindon noir, passe un puisatier.
Un parchemin d’or brille en la nuit brune,
Dracula traverse un rayon de lune,
Le parchemin prend un reflet changeant,
Lui qui était d’or, il devient d’argent.

Mangeant un gâteau à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

La mule en prenant son repas léger
Voit le parchemin soudain voltiger.
– Hardi puisatier, par la nuit sereine,
Où vas-tu si tard ? dit la mule humaine.
On dit que Porcus rôde en la forêt,
Viens plutôt fumer sur le gazon frais.

Mangeant des navets à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

Non ! car Dracula doit payer son coup
Ce soir, à Cluny, et j’y tiens beaucoup.
Laisse-moi passer, mule des prairies,
Va donc fumer sur les mousses fleuries,
Ne m’attarde pas loin de Dracula,
Prends mon dindon noir, si cela te va.

Mangeant un jujube à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

– Reste, puisatier. Je te donnerai
Des croissants au beurre et du pain doré,
Et, choisi pour toi par sort de fortune,
Le ciel de fouineur avec ses deux lunes.
– Non ! dit-il. – Va donc ! Buveur de vin blanc !
Il s’enfuit, le bon puisatier tremblant.

Mangeant une truffe à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

Tout droit devant lui le noir dindon part.
Il court, il bondit et va sans retard ;
Mais le puisatier frissonne et se penche ;
Il voit sur la route un gilet sans manches
Qui nommait Adam malgré Dracula.
– Par Cochonfucius, ne nous retiens pas !

Mangeant des merguez à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.

– Ne nous retiens pas, cela vaudra mieux !
D’ailleurs tu devrais retourner au pieu,
Ou bien te cacher dans une poubelle.
– Entends, puisatier, ma justice est telle :
Va boire à Cluny, ta vie est ainsi,
Mais conduis-y donc cette mule aussi !

Mangeant une orange à la marjolaine,
La mule joyeuse a la bouche pleine.