Incantation au Pontonnier du Ciel

Beothuk burial scene detail

Peinture Beothuk

Pontonnier, ferme donc les paupières funèbres
Des deux pinsons géants qui hantent les ténèbres !

Le roi Gaspard rejoint au tombeau ses aïeux ;
La reine est en grand deuil et veut qu’on prie pour elle.
Yake Lakang lui tient quelques propos fort pieux.
Descendant le roi dans la fosse maternelle,
Cochonfucius, priant, lui a fermé les yeux.

Le Pontonnier divin, aux pinsons si robustes,
Interdit le chemin parcouru par les justes.

Puisque Gaspard vécut sans effroi ni remords,
Qu’il n’offensa jamais le plus humble reptile,
Nul ne lui veut de mal à présent qu’il est mort.
À cause de sa gloire éclatante et subtile,
Aucun des deux pinsons menaçants ne le mord.

Le Pontonnier apaise autour de lui les râles
Que poussent les gardiens du seuil, les pinsons pâles.

Le corps du roi Gaspard est passé par le feu,
Et le pinard mystique a noyé sa poussière.
L’odeur de chair grillée est parvenue aux cieux,
Son absence de corps baigne dans la lumière,
Il a fini son Temps, il a perdu son Lieu.

Le Pontonnier divin comprime les mâchoires
Et trompe le flair des pinsons expiatoires.

Il est assis, parfait, dans un rêve éternel,
Sans rire, sans parler, tranquille comme un Sage,
Il respire l’odeur des tartines de miel.
Le rouge du pinard colorant son visage,
Il boit avec Furax au grand troquet du Ciel.

Le Pontonnier aveugle avec ses mains brûlantes
Des deux pinsons d’Enfer les prunelles sanglantes.

Les pinsons qui jamais n’ont connu le sommeil
N’ont pas la permission de lui faire des crasses.
Ils doivent le laisser profiter du soleil,
Gaspard, profites-en, car ces pinsons voraces
Te laisseront en paix jusqu’au dernier réveil.

Le Pontonnier divin écarte de leur proie
Les deux pinsons errant à l’angle des deux voies.

C’est Leconte de Lisle, un auteur de renom,
Le versificateur que je nomme mon Maître,
Qui m’inspira ces vers ni trop courts ni trop longs.
C’est Leconte de Lisle, aimé de nos ancêtres,
Qui fut l’inspirateur de ma courte chanson.

Le Pontonnier finit par noyer dans les flammes
Les deux maudits pinsons, dévorateurs des âmes.


Incantation du Crapaud

Mon esprit est neigeux, c’est carrément la zone.
Un palotin me guide au vieux palais d’hiver.
Le roi Sargon, assis sur ses jarrets de fer,
Regarde resplendir un lavabo tout jaune.

Les vaches, les criquets, les forêts et les rocs
Dorment inertement sous leur blême suaire,
Et Leconte de Lisle invente un ossuaire
Immense, cave ou plat, ou bossué par blocs.

Tandis qu’éblouissant les horizons funèbres,
Le lavabo glacé luit dans le morne azur,
L’angoisse du vieux roi rend son esprit obscur,
Un âpre frisson court le long de ses vertèbres.

Sa vache blanche, aux yeux flambants, et les petits
Lapins qui ne font rien qu’à se remplir le ventre
Éclusent du pinard mystique au fond de l’antre.
A la bouteille tierce, ils sont un peu partis.

Le roi médite seul sur la neige livide,
Au seuil de son palais où tout le monde boit.
Les grands criquets en fête ou la vache aux abois,
Que lui fait tout cela, puisque le monde est vide ?

Lui, roi de Milpodvash, se sent brusquement nain.
Au loin sonnent les voix de vingt buveurs de bière
Accroupis près du feu de tourbe et de bruyère
Où l’eau sinistre bout dans le chaudron d’airain.

Son esprit est neigeux et sa peine est profonde.
Dans son crâne résonne un poème à la flan
Dont il retouche un vers, parfois, en grommelant,
Le délire entre ses oreilles brûle et gronde.

Il se demande où sont les jours de nos aïeux,
Quand, faisant leur marché, d’énergiques femelles
Matraquaient un gendarme à grands coups de mamelles.
Il regrette son corps d’archange furieux.

On lui dit, à présent : Sois pas trop énergique !
Et lorsqu’il veut se battre, on lui répond Des clous !
Il est devenu chien, lui qui était un loup,
Buvant une potion qui n’a rien de magique.