Category Archive: La salle et le comptoir

le rire de la tortue

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Illustration : assemblage de Cochonfucius Les animaux du monde étant désemparés Par un fléau mortel, usèrent d’artifice Pour savoir qui d’entre eux mourrait en sacrifice. Chacun devrait sur l’heure une blague narrer A Madame Tortue, pour la faire marrer. Si la tortue riait, on aurait bénéfice De la vie ; de périr, sinon, par les offices D’un bourreau qui, dans l’ombre, était là, préparé. L’éléphant raconta. Point de rire. Il mourut. Or, plus d’un animal après lui disparut, Car la tortue, toujours, restait imperturbable. Quand vint le tour du singe, il tremblait de frayeur. L’écoutant, la tortue s’esclaffa de bon cœur : « Celle de l’éléphant! Elle était ! Impayable ! »

Saint-­Jean d’été

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Toile de Angelica Gerih Le roi qui trop aimait son savoir sans saveur Sourit en recevant cette carte lancée Dans son courrier par la dame de ses pensées. S’il ne croit mériter une telle faveur, Il est réconforté d’une telle ferveur Et que se continue l’histoire commencée. Si son âme parfois est décontenancée, Si son esprit soudain en est rendu rêveur, Il suivra malgré tout l’aventureux chemin Qui va de chaque jour à chaque lendemain, Il suivra le tracé d’une absence de route, S’arrêtant pour dormir à l’ombre d’un buisson A l’heure où la forêt ne produit aucun son : Mais il entend celui de son coeur en déroute.

Les rois

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Peinture traditionnelle chinoise Le roi jaune a voulu obtenir la richesse, Je lui dis qu’il est bon pour un roi d’être nu. Le roi mauve a rêvé d’une histoire de cul, Je lui dis qu’il se doit d’agir avec noblesse. Le roi orange veut s’enfoncer dans l’ivresse, Je l’avertis du sort de ceux qui ont trop bu. Le roi rose inventa des gadgets de son cru, Je dis que là n’est point la divine sagesse. Le roi rouge veut être un puissant souverain, Je lui dis : « Ne sois pas ce monstre que l’on craint, Nous préférons les rois qui sont ce que nous sommes ».… Continue reading

les douze animaux

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Peinture Yang Shanshen Le rat me garantit qu’il rongera la cage Où je suis prisonnier ; le boeuf veut bien tirer La charrue dans mon champ, le tigre déchirer Pour mon profit la peau d’un ruminant sauvage. Le lièvre me rapporte une fleur du bocage, Le dragon, des trésors qu’on ne peut qu’admirer. Le serpent vient danser afin de m’inspirer, Le cheval me conduit dans un bel attelage. Le mouton me procure un vêtement de laine, Le singe a dégotté une bouteille pleine, Le coq fait retentir son clairon dans le soir ; Le chien pose sur moi son doux regard fidèle, Le cochon me fait rire en draguant l’hirondelle, Puis les douze animaux s’en vont à l’abattoir.

Trois parachutes

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Photographie anonyme Le pissenlit d’avril offrit trois parachutes, Faisant, sous le soleil, voler trois acariens. Le premier atteignit les sables sahariens, Et, dans une oasis, devint joueur de flûte. Le deuxième acarien, que l’effort ne rebute, Fit des acrobaties dans le ciel sibérien. On l’a félicité, il a dit : « Ce n’est rien, Un puissant tourbillon m’a pris dans ses volutes ». Le dernier acarien a parcouru deux mètres Et s’est trouvé piégé au bord de ma fenêtre, Pris par une araignée avec du fil collant. Ce troisième larron fit le plus fier poème, Disant : « Sur mon tombeau, n’offrez nul chrysanthème ; Je reste, pour toujours, un acarien volant ».

Une légende

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Toile de Max Ernst Le lièvre, un beau matin, s’unit à la girafe. La presse a commenté ce cas particulier. Le serpent et la taupe à l’église ont prié, Et l’on a convoqué les meilleurs photographes. L’ibis et le crotale offrent une carafe Pleine de bon vin rouge au prix de cent deniers Que généreusement avance un usurier ; Le cochon, un voyage à bord d’un bathyscaphe. La reine fit cadeau d’une partie du monde, Le hibou d’une chambre en la forêt profonde, Moi, poète, d’un chant que dit la voix du loup. La girafe et le lièvre à la sortie du temple Ont repris ce doux chant et leurs voix furent amples. Cependant ma chanson ne valait pas un clou.

Quatre thèmes

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Quadriptyque  Miranda Mehrer Le jardin et la croix, la plume et l’encrier, La salle et le comptoir, les grands auteurs de France : De ces quatre propos mon vers tire substance, Dans ces quatre sections, mes sonnets sont triés. Le jardin est celui qui vit Adam prier, La plume au fil des jours me conduit en errance, La salle est au conteur dans son exubérance, Les auteurs vont cherchant les mots appropriés. Tu dis que j’ai produit quelques vers déchirants Que l’on doit regrouper en un lieu différent, D’amour que refroidit le regard de Saturne ; Il est vrai que jadis ma plume a pu nourrir Cette étrange passion qui naquit pour mourir :… Continue reading

Les fous

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Gravure Bruegel l’Ancien Le fou jaune me parle, et veut que je lui dise Comment valoriser ses quelques inventions. Je lui dis de passer par leur divulgation, Mais il semble douter d’une telle analyse. Le fou mauve survient et veut que je précise Comment éliminer fantasmes et pulsions. Je lui dis de surtout relâcher la pression, Puisque « Tout va très bien, Madame la Marquise ». Au fou orange, un mot sur son métabolisme, Au fou rose un avis concernant les sophismes, Frappés, dans les deux cas, de la note « Zéro ». Concernant le fou rouge, il a un vrai problème, Alors, je lui dédie ce modeste poème ; Peut­-être vais-­je aussi lui offrir l’apéro.

Le dieu­-corbeau et le démon-­renard

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Gravure de Arthur Rackham Le fils du charpentier, sur sa croix accroché, Tenait entre ses dents le salut de ce monde. Le prince Lucifer, par le sang alléché, Vint voir cette souffrance à nulle autre seconde. Le crucifié trembla en voyant s’approcher Le dragon ricanant aux manières immondes, Qui lui dit : « Mon cousin, Dieu est­-il si fâché Que vous mouriez ici et que l’orage gronde ? » Oubliant qu’il fallait surtout serrer les dents, Le crucifié lui parle, et, de ce fait, perdant Les âmes dont il fut pour un temps le refuge, Les laisse dévorer par Maître Lucifer, Qui, le ventre bien plein, s’en retourne aux enfers, Souriant de lui­-même, et de son subterfuge.