Antimoine dans les phrases qui disent “je me souviens”

perec

Cette intervention est un hommage à Georges Perec et à son livre intitulé « Je me souviens ».

Je me souviens de la licorne dont la corne était verte.

Je me souviens d’une blague de mon grand-père où un conducteur entre dans une petite rue en disant « Dix », et ses passagers répondent « Vingt-trois », autrement dit, « 7 et 3 » puis « 7, 13 et 3 ».

Je me souviens du whisky des vieillards.

Je me souviens qu’il fallait franchir un petit torrent, par un pont de bois, pour aller à l’école primaire.

Je me souviens du marsupilami et des schtroumpfs qui ont salué la démonstration de la conjecture sur la somme des cubes et des autres puissances.

Je me souviens que le charcutier avait installé deux roues décoratives dans sa vitrine, créant l’illusion d’une infinité de cochons entrant dans une maquette de la boutique et d’une infinité de saucisses qui en ressortaient.

Je me souviens des dialogues des cadavres sur le carrelage de la cuisine.

Je me souviens que j’avais fait croire à mon petit frère que les Vélo-solex étaient à propulsion nucléaire.

Je me souviens des libellules et de la mante religieuse.

Je me souviens d’un jeu de « guerre des animaux » où ceux-ci, en matière plastique, se déplaçaient dans les couloirs par étapes de trente centimètres et s’entretuaient à coups de billes.

Je me souviens de la danse avec les brontosaures.

Je me souviens d’une file de fourmis noires disparaissant dans une fente de mur, comme les cochons de la vitrine ci-dessus.

Je me souviens du lapin rose.

Je me souviens d’un moine qui m’expliquait pourquoi on dit « in caelis » au pluriel au début du Pater Noster, et un peu plus loin, « in caelo », au singulier.

Je me souviens de la belette indigo.

Je me souviens d’avoir élevé des têtards jusqu’à métamorphose complète.

Je me souviens d’une réponse qui a perdu sa question.

Je me souviens de l’instituteur mettant au tableau l’algorithme d’extraction des racines carrées, en prenant des tranches de deux chiffres.

Je me souviens du corps des personnages de mon adolescence, surtout les jeunes filles.

Je me souviens du sourire du Président René Coty transmettant ses pouvoirs à Charles de Gaulle devant les caméras.

Je me souviens des mouches et du caméléon.

Je me souviens que le Centre d’Essais des Landes avait perdu le contrôle d’un missile, qui était venu faire un vaste entonnoir sur la plage de Biscarrosse.

Je me souviens du vin des vagabonds.

Je me souviens d’une blague stupide du même instituteur prétendant qu’OAS voulait dire « On a soif » et FLN « Faites le nécessaire ».

Je me souviens d’un antimoine qui a fait un trou dans la lune, pourtant gardée par un moine-astronaute.

Je me souviens que le maître nous enseignait à faire la liaison dans les phrases, avec l’exemple « Il y en a qui font dans leur culotte et puis qui disent que c’est pâteux ».

Je me souviens d’une chanson.

* * *

“Je me souviens d’anciens printemps
Et de paroles printanières;
C’était il y a fort longtemps,
C’était la croix et la bannière.
*
C’était bien du plaisir, pourtant.
Cela n’avait rien d’ordinaire,
Je me sentais prince charmant,
Je me sentais roi de la Terre.”
*
Ainsi ronchonnait un vieil homme
Qui avait bien vécu, en somme,
Et devait un très grand merci
*
Aux amours des saisons anciennes ;
Car, même si point ne reviennent,
Son coeur en fut fort adouci.

Et je me souviens d’une chute.

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