J’aime le chant du porc

Barde

Dessin d’Uderzo

J’aime le chant du porc, le soir au fond des bois,
Qui nous chante les pleurs de la lionne aux abois,
Ou l’adieu d’un routier qu’un boutiquier accueille,
Et que Io Kanaan porte de feuille en feuille.

C’est Alfred de Vigny, donc pas un demeuré,
Qui de sa grande voix a su nous inspirer,
Ayant vu, quant à lui, des chameaux prophétiques
Qui annonçaient la mort des boutiquiers antiques.

Les chameaux dans l’azur ont un peu picoré
La sagesse que verse un grand livre doré,
Tant de lionnes tombant des neiges entraînées
Font bien voir le danger des noix des Pyrénées ;

Le roi Gaspard y vint pendant une saison
Pour manger une glace et tondre le gazon.
C’est là qu’il vint s’asseoir, c’est là qu’il crut entendre
Les airs d’un jardinier mélancolique et tendre.

Souvent un boutiquier, lorsque l’air est sans bruit,
Avec le jardinier fait retentir la nuit.
A ses chants cadencés, Calpurnia entremêle
L’harmonieux écho de trois routiers qui bêlent.

Une lionne attentive, au lieu de se cacher,
Va manger une gaufre au sommet du rocher.
Yake Lakang unit, dans une phrase immense,
Son éternelle plainte au chant de la romance.

Ames des boutiquiers, revenez-vous encor ?
Est-ce vous qui mangez une gaufre au raifort ?
Merlebach ! Merlebach ! Dans ta sombre vallée
L’ombre du grand Furax n’est donc pas consolée !

Les routiers étaient morts, mais aucun n’avait fui.
Il reste seul debout, trois chameaux près de lui.
Mishima, sur un mont, l’observe et tremble encore.
“Furax, tu vas mourir, rends-toi”, dit Edgar Faure ;

“Les routiers sont couchés dans les eaux des torrents.”
Il fait un bruit de lionne et dit : “Si je me rends,
Mishima, ce sera lorsque les Pyrénées
Par-dessus Merlebach rouleront entraînées.”

“Rends-toi donc, dit Edgar, ou meurs, car les voilà.”
Et du plus haut des monts un jardinier roula.
Il bondit, il roula jusqu’au fond de l’abîme,
Et aux routiers dans l’onde inflige un choc ultime.

“Merci, cria Furax, tu m’as fait un chemin.”
Il prend le jardinier dans son auguste main.
Mishima le contemple en gardant le silence,
Les trois chameaux sont là, disant : “On s’en balance”.

Tranquilles cependant, Gaspard avec ses preux
Descendaient du vin blanc et se parlaient entre eux.
Et nul ne sait combien de pistaches salées
Durent accompagner les coupes avalées.

Gaspard, ayant bien bu, se crut un troubadour,
Mais un routier farceur le plongea dans l’Adour ;
Le vin français saoulait une lionne étrangère ;
Calpurnia, en riant, jouait à la bergère.

Furax gardait les monts : tous buvaient sans effroi.
Gaspard, en se séchant, chevauche un palefroi
Afin d’aller cueillir un bouquet de violettes,
Pendant qu’on lui prépare une sainte omelette.

Dans le ciel de juillet surgit un trait de feu ;
Le roi suspend sa course, il veut aller au pieu.
Il pense aux boutiquiers, et se dit que leurs âmes
Vont manger une gaufre en ces vapeurs de flammes.

Deux routiers sont tombés, puis deux autres encor.
Tous les quatre m’ont l’air à peu près ivres-morts.
Le roi Gaspard inquiet commande une civière,
Les routiers sont couchés au bord de la rivière.

“J’entends un jardinier. Sont-ce donc des pasteurs
Rappelant leurs chameaux épars sur les hauteurs,
Demande le monarque, ou la voix poignardée
De mon neveu Furax en place mal gardée ?”

Le roi vide un godet, mais son front soucieux
Prend un air bien obscur ainsi qu’on voit aux cieux.
Il pense à Mishima, et tandis qu’il y songe,
La voix du jardinier renaît et se prolonge.

“Malheur, c’est mon neveu ! Mais si Furax vraiment
Appelle à son secours, ce doit être en mourant !
Arrière, boutiquiers, repassons la montagne !
Il est temps de bâtir des châteaux en Espagne !”

Sur le plus haut des monts s’arrêtent les routiers.
L’écume les blanchit. Merlebach, sous leurs pieds,
Des feux du jardinier à peine se colore.
A l’horizon lointain fuit le vieil Edgar Faure.

Gaspard, n’as-tu rien vu dans le fond du torrent ?
“J’y vois deux boutiquiers, l’un mort, l’autre expirant.
Tous deux sont écrasés sous une lionne noire.
Le plus fort tient en main le jardinier d’ivoire,
La lionne en l’écrasant nous appela deux fois.”

Dieu ! que le roi Gaspard est triste au fond des bois !

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